19 avril 2024

L’histoire du défilé

Fête des Cormorans en 1922

Vu  par le peintre Jean-Julien Lemordant, né à Saint-Malo le 28 juin 1878, mort à Paris le 11 juin 1968 :

« J’ai voulu organiser dans ce cadre exceptionnel la journée  d’une noce bretonne en reconstituant, jusque dans ses moindres détails, un défilé vraiment réaliste. Rien de ces mascarades organisées un peu partout dans notre Bretagne; quelque chose de simple, de grand, de vrai, avec des costumes authentiques ».

Ainsi parlait Jean-Julien Lemordant, connu aussi sous le nom de « Peintre aveugle ». C’est pour la joie des voyants qu’il composa ces tableaux vivants auxquels participèrent spontanément les habitants du cru. Chaque groupe, costumé, devait présenter des noces d’Or, d’Argent et Modernes, réparties en sous-groupes composés des mariés et des invités. Lors de l’établissement du projet,  Jean-Julien s’opposa aux  conserveurs qui voulaient dénaturer sa vision d’authenticité par l’ajout de festivités « modernes », telle qu’une course cycliste. Bref, fort du soutien populaire, Lemordant obtient carte blanche le 22 Juillet. Et enfin arrive le grand jour de la Fête que JJ Lemordant a baptisé « ma Grande Fête Bretonne de Penmarc’h ».

La foule, composée des gens de la côte et de très nombreux touristes fut importante : Des trains supplémentaires furent affrétés sur la ligne du « Tren Birinik » par la Compagnie des Chemins de Fer Départementaux du Finistère (CFDF). La vedette Amiral Ronac’h aussi est de la Fête et transporte les touristes de Quimper à St Guénolé via Bénodet et Loctudy.  Même son ami Théodore Botrel semble être de la fête sur son cheval blanc.
Le rassemblement haut en couleurs eut lieu au Penity, ancien manoir fortifié transformé en école et à Pors Lambert. Les costumes étaient pour la plupart de couleurs chatoyantes. Le rouge écarlate des jupes aux riches galons pailletés, se mêlaient aux bleus de Prusse, aux bleus glas (bleu-vert), au noir des giletennou brodés de rouge, d’orange et d’or, aux rubans ajourés des coiffes aux dentelles diaphanes et ouvragées, aux rubans moirés des cocardes multicolores, aux rubans noirs des chapeaux virevoltant dans le vent…
Puis ce fut le départ du cortège vers le Bourg puis Kérity, Saint Pierre, la Joie et enfin Saint Guénolé. Les sonneurs ouvraient la marche, coiffés d’un chapeau champignon ou d’un tok teier voulouzenn (chapeau a trois rubans). Soufflant dans leurs bombardes et leurs binious koz ils jouaient une mélodie perçante et lancinante.

Ils étaient suivis par les noces anciennes de Penmarc’h, les mariés montés sur des chevaux de labour blancs, la mariée en croupe. Venaient ensuite les charrettes transportant les invité(e)s. La seconde partie du groupe, cheminant à pied, était consacrée aux noces modernes. Tout le long du parcours, le long cortège était applaudi par une foule de spectateurs enthousiastes.
On pouvait y admirer les costumes du groupe de Ploaré, suivi des Bigoudens, des Kéritiens, des Capistes et des Senans. Les spectateurs ont pu alors remarquer le contraste saisissant entre les costumes colorés des mariés Bigoudens, le blanc immaculé de la mariée Kéritienne et le noir uniforme des mariés de l’Ile de Sein.

Arrivés à la Joie après une longue marche pour certains, le cortège est rejoint par Lemordant, le crâne ceint d’un large turban le gaze blanche. Tel un général aveugle venu passer en revue ses troupes, il est juché sur une automobile qui ouvre la route au cortège en direction de Saint Guénolé. A 13h30, le cortège arrive enfin, skuizh dall (fatigués), sur le Menez de Saint Guénolé, face au Trou de l’Enfer. On y a dressé trois tentes rustiques : Une pour la noce, l’autre pour les invités et la dernière pour les anonymes. Bien que kreg a naon (affamés), la noce se lance pourtant dans une gavotte d’honneur sur la vaste esplanade du Menez transformée en piste de danse. Celle-ci terminée, les danseurs se précipitent sous les tentes. Lemordant préside une des tables et lance le signal d’un repas rustique, simple et vrai : Viande et légumes arrosés d’un bon cidre. 
Le repas terminé, les convives s’en retournèrent sur la « piste » de danse et menèrent gavottes et jabadaos multicolores toute l’après-midi au son des bombardes et des binious, pendant que les enfants tournent sur un manège. Une danse parfois interrompue pour se rafraîchir et se promener le long des boutiques des camelots, d’un marché de dentelles et de produits Bretons, assister aux concours de costumes, de musique ou de natation et aux régates de sardiniers s’affrontant dans la baie.  
Le crépuscule s’annonçant, les touristes quittèrent la fête dans leurs automobiles de luxe, leurs camions lourds ou s’en retournèrent vers la gare, laissant la place aux gens de la côte. La fête se prolongea tard dans la nuit.